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Cameroun : Paul Biya déclaré vainqueur dans un contexte de violences postélectorales

Les autorités devraient contrôler les forces de sécurité, enquêter de manière impartiale sur l'usage de la force et libérer les manifestants détenus a tort

Capture d'écran d'une vidéo montrant un policier faisant usage de gaz lacrymogènes sur des manifestants à Maroua, région de l'Extrême-Nord, au Cameroun, le 22 octobre 2025. © 2025 Privé

(Nairobi) – La période postélectorale au Cameroun a été marquée par des violences, avec au moins quatre personnes tuées vraisemblablement par les forces de sécurité, des dizaines de blessés et des centaines d'autres personnes arrêtées à travers le pays depuis l'élection présidentielle du 12 octobre, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Les autorités devraient immédiatement contrôler leurs forces de sécurité, mener une enquête rapide et impartiale sur l'usage excessif de la force et libérer toutes les personnes détenues à tort.

Le Conseil constitutionnel a annoncé le 27 octobre que le président sortant Paul Biya, âgé de 92 ans, avait remporté l'élection avec 53,66 % des voix. Son principal adversaire, Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre des Transports et de la Communications, s'était proclamé vainqueur le 12 octobre.

« Les tensions sont vives en raison de la réélection contestée de Paul Biya », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les forces de sécurité devraient protéger la population, et non attiser la violence. »

Les jours qui ont suivi le scrutin ont été marqués par la violence. Des manifestations organisées par l'opposition ont éclaté dans les grandes villes, notamment à Douala, la capitale économique, Yaoundé, la capitale, et dans les villes de Garoua et Maroua, dans le nord du pays. Les forces de sécurité ont répondu aux manifestations par des tirs de gaz lacrymogènes, l’usage de canons à eau et, dans certains cas, des tirs à balles réelles. Après l'annonce des résultats de l’élection, des manifestations ont également éclaté dans tout le pays. Issa Tchiroma Bakary a déclaré sur Facebook que des tireurs d'élite stationnés autour de son domicile à Garoua « tir[aient] à bout portant sur la population » et que deux personnes avaient été tuées.

Selon des médias locaux et internationaux ainsi que des sources locales consultées par Human Rights Watch, au moins quatre personnes ont été tuées lors de manifestations dans le quartier de New Bell à Douala le 26 octobre. Dans une déclaration publiée le même jour, Samuel Dieudonné Ivaha Diboua, gouverneur de la région du Littoral, où se trouve Douala, a déclaré que des jeunes, sous l'emprise de la drogue, avaient attaqué une brigade de gendarmerie et deux commissariats de police dans le but de les incendier et de s'emparer des armes. Il a également expliqué que « dans l’échange qui s’en est suivi, plusieurs éléments des forces de sécurité ont été blessés, et quatre personnes ont malheureusement perdu la vie » et que « [d]es enquêtes ont été ouvertes pour que toute la lumière soit faite sur ces malheureux incidents. »

Samuel Dieudonné Ivaha Diboua a également publié un décret le 26 octobre annonçant que 105 personnes avaient été arrêtées pour avoir participé à des manifestations déclenchées par un appel à la protestation lancé en ligne par Issa Tchiroma Bakary. Cependant, Augustin Nguefack, conseiller juridique de ce dernier, a déclaré à Human Rights Watch qu'il pensait que davantage de personnes avaient été arrêtées à Douala le 26 octobre et que depuis le vote, les forces de sécurité avaient détenu au moins 250 manifestants de l'opposition dans la ville.

Parmi les personnes arrêtées à Douala figurent Anicet Ekane, Florence Titcho et Djeukam Tchameni, trois dirigeants du Mouvement africain pour une nouvelle indépendance et la démocratie (MANIDEM), mouvement qui soutenait Issa Tchiroma Bakary.

Des partisans d’Issa Tchiroma Bakary et des manifestants ont également été arrêtés dans d'autres villes. Le 25 octobre, des gendarmes ont arrêté Aba'a Oyono, juriste spécialisé en droit public et conseiller d’Issa Tchiroma Bakary, à son domicile à Yaoundé. Les autorités n’ont toujours pas révélé l’endroit où il est détenu. Le refus de reconnaître la détention ou de fournir des informations sur la localisation d’un détenu peut constituer une disparition forcée, considérée comme un crime au regard du droit international. Des membres de la société civile consultés par Human Rights Watch ont rapporté que les forces de sécurité avaient arrêté au moins 52 manifestants, dont des mineurs, à Maroua le 23 octobre. Des médias ont rapporté que les forces de sécurité avaient arrêté au moins 20 manifestants à Garoua le 21 octobre.

Paul Biya, dont la présidence est la plus ancienne au monde, dirige le Cameroun depuis 1982, ayant gardé une main de fer sur le pouvoir en abolissant la limitation du nombre de mandats présidentiels en 2008 et en éliminant ou en réduisant au silence de manière systématique tout adversaire ou voix dissidente.

Le 5 août, le Conseil constitutionnel du Cameroun a soutenu la décision de la commission électorale d'exclure de l’élection présidentielle le dirigeant de l'opposition Maurice Kamto, un important adversaire politique du président. Son exclusion a été vivement critiquée par ses partisans et des membres de son parti, qui ont organisé des marches et des manifestations pacifiques dans toute la capitale. Les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser la foule qui s'était rassemblée devant le Conseil constitutionnel le 4 août, composée notamment des dizaines de partisans de Maurice Kamto. Elles ont également arrêté au moins 35 de ses partisans depuis le 26 juillet, qui ont tous été libérés sous caution.

Ce n'est pas la première fois que les élections au Cameroun sont entachées de violence. L'élection de Paul Biya en 2018 avait déclenché une vague de répression politique. Après le scrutin, des manifestations menées par l'opposition avaient éclaté dans tout le pays, et le gouvernement avait réagi par une répression sévère, déployant la police, l'armée et les gendarmes, qui avaient fait usage d'une force excessive contre les manifestants.

En janvier 2019, Maurice Kamto et plus de 200 de ses partisans avaient été arrêtés et placés en détention. L’opposant avait été accusé d'insurrection, d'hostilité envers la patrie et d'association de malfaiteurs, entre autres chefs d'accusation. Il avait été libéré le 5 octobre 2019 et les charges avaient été abandonnées, mais les attaques contre l'opposition se sont poursuivies.

Depuis des années, les autorités camerounaises répriment l'opposition, les médias et la dissidence, emprisonnant les opposants politiques, les journalistes et les activistes. Au cours des mois qui ont précédé le scrutin, l'espace politique s'est rétréci et les autorités ont sévèrement restreint la liberté d'expression et d'association.

Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois stipulent que la police doit toujours utiliser le minimum de force nécessaire. Les armes à feu ne peuvent être utilisées pour disperser des rassemblements violents que lorsque d'autres moyens moins préjudiciables sont inenvisageables. Les agents des forces de l'ordre ne peuvent recourir intentionnellement à un usage des armes à feu portant atteinte à la vie humaine que lorsque cela est strictement inévitable pour protéger des vies humaines.

Divers protocoles régionaux ratifiés par le Cameroun, notamment les Lignes directrices pour le maintien de l'ordre lors des réunions en Afrique, prévoient également que les agents ne peuvent recourir à la force que lorsque cela est strictement nécessaire. Lorsqu'ils recourent à la force, les agents des forces de l'ordre doivent faire preuve de retenue et agir de manière proportionnée à la gravité de l'infraction et à l'objectif légitime à atteindre.

« Les autorités camerounaises devraient immédiatement ordonner à leurs forces de sécurité de ne pas recourir à la violence contre les manifestants », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Elles devraient rapidement mener des enquêtes impartiales sur les allégations d'usage excessif et mortel de la force, et demander des comptes aux responsables de tout décès survenu pendant cette période délicate. »

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