(Beyrouth) – Les autorités tunisiennes ont arrêté trois activistes de premier plan lors des dernières semaines après leur condamnation injuste à l'issue d'un simulacre de procès portant sur des accusations de complot et terrorisme, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités devraient immédiatement annuler ces condamnations injustes, et libérer toutes les personnes détenues.
Le 28 novembre 2025, une cour d'appel de Tunis a condamné 34 accusés dans une affaire à motivation politique dite « affaire du complot », dont des opposants politiques, des activistes et des avocats, à des peines allant de 5 à 45 ans de prison. Les autorités ont depuis arrêté Chaima Issa, une activiste politique, Ayachi Hammami, un avocat des droits humains, et Ahmed Nejib Chebbi, un opposant politique de premier plan, qui ont été condamnés respectivement à 20, 5 et 12 ans de prison.
« L’arrestation de figures de premier plan de l’opposition constitue la dernière étape du plan du président Kais Saied visant à éliminer toute alternative à son pouvoir personnel », a déclaré Bassam Khawaja, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Avec ces arrestations, les autorités tunisiennes sont effectivement parvenues à mettre la majeure partie de l'opposition politique derrière les barreaux. »
Des membres des forces de sécurité en civil ont arrêté Chaima Issa, 45 ans, dans une rue de Tunis le 29 novembre, après sa participation à une manifestation dénonçant les nombreuses atteintes aux libertés et aux droits. Une vidéo circulant en ligne semble montrer son arrestation. Chaima Issa, détenue à la prison de Manouba près de Tunis, a entamé une grève de la faim le jour de son arrestation, a déclaré sa famille à Human Rights Watch. Elle a également indiqué avoir été blessée au pied lors de son arrestation.
Chaima Issa avait déjà été arrêtée en février 2023 et placée en détention provisoire mais elle avait été relâchée en juillet 2023. Condamnée en première instance à 18 ans de prison, peine portée à 20 ans en appel, Chaima Issa est membre du Front de salut national, principale coalition d'opposition au président Saied, et cofondatrice du collectif Citoyens contre le coup d'État. Ces deux organisations s'opposent à la prise de contrôle des institutions étatiques tunisiennes par le président Saied le 25 juillet 2021.
Ayachi Hammami, 66 ans, avocat et défenseur des droits, a été arrêté le 2 décembre dans sa maison d’une banlieue de Tunis. Plus tôt dans la journée, ses avocats avaient déposé un pourvoi devant la Cour de cassation, la plus haute juridiction de Tunisie, ainsi qu'une requête en suspension de l'exécution du jugement dans l'attente d'une décision définitive.
Ayachi Hammami était initialement l’un des avocats de la défense dans l'affaire du complot, mais il a été inculpé en mai 2023. Condamné en première instance à huit ans de prison, sa peine a été réduite à cinq ans en appel. Il est actuellement incarcéré à la prison de Mornaguia.
Dans une vidéo pré-enregistrée publiée après son arrestation, Hammami a déclaré que son arrestation était politique et a annoncé une grève de la faim..
Ahmed Nejib Chebbi, 81 ans, a été arrêté le 4 décembre après plusieurs jours de surveillance policière autour de son domicile. Chebbi avait boycotté le procès.
Chebbi est un avocat qui a cofondé la coalition du Front national de salut. Il a été condamné à 18 ans de prison, peine réduite à 12 ans lors d’un appel initial. Il a refusé de se pourvoir en cassation.
Le 19 avril, le Tribunal de première instance de Tunis avait condamné 37 prévenus à des peines de 4 à 66 ans d’emprisonnement pour « complot contre la sécurité de l’État » et « infractions terroristes ». Ils ont été condamnés après seulement trois audiences lors d'un procès qui a violé leurs droits à une procédure régulière.
Les accusés ont été inculpés en vertu de nombreux articles du Code pénal tunisien et de la Loi antiterroriste de 2015 de complot visant à déstabiliser le pays. Human Rights Watch a examiné des documents judiciaires de l'affaire et a conclu que les accusations étaient infondées et non étayées par des preuves crédibles.
La Cour d'appel a rendu son arrêt dans ce procès collectif après seulement trois audiences, tenues en l'absence des prévenus détenus, violant ainsi leur droit d'être physiquement présents devant un juge capable d'apprécier la légalité et les conditions de leur détention ainsi que leur état de santé. Trois prévenus ont été acquittés en appel.
Les quinze personnes condamnées dans cette affaire et se trouvant en Tunisie sont actuellement incarcérées. Les autres, qui résident à l'étranger, ont été condamnées par contumace. Human Rights Watch a déclaré que la Cour devrait immédiatement annuler ces condamnations abusives et libérer tous les détenus.
À la suite de la prise de pouvoir du président Saied, les autorités ont considérablement intensifié la répression de la dissidence. Depuis début 2023, elles ont intensifié les arrestations et la détention arbitraires des personnes de tout l'échiquier politique perçues comme critiques envers le gouvernement. Les attaques répétées des autorités contre le pouvoir judiciaire, notamment la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature par Saied, ont gravement porté atteinte à son indépendance et mis en péril le droit des Tunisiens à un procès équitable.
La Tunisie est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qui garantissent les droits à la liberté d'expression et de réunion, à un procès équitable et à la protection contre l'arrestation ou la détention arbitraires.
« Les autorités tunisiennes ont de facto criminalisé l'opposition politique et l’activisme en faveur des droits humains, anéantissant tout espoir de retour à un processus démocratique », a conclu Bassam Khawaja. « Les partenaires internationaux de la Tunisie, notamment l’Union européenne, devraient condamner le basculement du pays vers l’autoritarisme. »